Nomadland – Les mythes américains sont morts – Critique

Grâce à sa consécration lors de la cérémonie des oscars 2021, Nomadland a été beaucoup mis en avant. Car le long-métrage de Chloé Zhao a non seulement remporté le prix du meilleur film, mais aussi celui de meilleure réalisation et de meilleure actrice pour Frances McDormand. Avec ce déferlé de récompenses qui crée souvent des attentes beaucoup trop élevées, j’étais à la fois curieux et méfiant à l’idée de découvrir le long-métrage. Heureusement, le film est très réussi et arrive à mettre en scène l’Amérique d’aujourd’hui de manière passionnante.

Fern a tout perdu durant la crise économique de 2008. Telle une nomade, elle traverse l’ouest américain au volant de sa camionnette. Durant son voyage, Fern croise d’autres personnes qui ont décidé de s’affranchir des normes.

Chloé Zhao et les États-Unis

Née à Pékin, Chloé Zhao a quitté la Chine alors qu’elle était adolescente, pour aller dans un pensionnant britannique, avant d’aller faire des études aux États-Unis. Contrairement à beaucoup de cinéastes américains, la future metteuse en scène n’est pas tombée sous le charme des grandes villes américaines, mais plutôt des vastes espaces, comme le Nebraska ou le Dakota du Sud. Des endroits isolés et peu peuplés. C’est d’ailleurs ces lieux qui sont mis à l’honneur dans ces deux premiers films: Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017).

Pour tourner ces deux longs-métrages, la cinéaste est partie à la rencontre des populations locales, afin de s’imprégner de leur style de vie. Elle a ensuite proposé à ces personnes de participer à son film, en jouant leurs propres personnages, avec un scénario basé sur leurs vies. Zhao a donc une manière bien particulière de travailler, avec des longs-métrages qui oscillent entre le documentaire et la fiction.

À l’origine, le film Nomadland a été lancé par l’actrice Frances McDormand. Elle a contacté Chloé Zhao après avoir vu The Rider, pour réaliser une adaptation du livre Nomadland de Jessica Bruder. Celui-ci suit la vie d’américains qui ont tout perdu dans les retombées de la crise économique de 2008 et sont devenus nomades.

Le long-métrage raconte donc le quotidien de Fern et nous plonge dans une Amérique déserte et désolée.

En abordant la vie de ces nomades modernes, le film porte un regard vers le passé, et fait un parallèle avec les premiers nomades qui ont découvert l’Amérique: les pionniers. À la recherche d’une vie meilleure et d’une terre promise, ils se sont aventurées dans les vastes étendues américaines.

La fin des mythes américains

Il était une fois l’Amérique. Un territoire dont les histoires se sont répandues dans le monde entier. Dans l’inconscient collectif, l’Amérique se présentait comme un endroit extrêmement vaste, sans frontière définitive, où tout restait à explorer. Un territoire d’une telle ampleur a vu naître bien des mythes, comme celui du rêve américain, cette notion que tout est possible pour ceux qui s’en donnent les moyens. L’idée qui se dégageait de l’Amérique était celle d’un espace sans limites, où la croissance ne connaissait pas de restrictions.

Nomadland fait un constat assez sombre de ce qu’il est advenu de l’Amérique aujourd’hui.

Si les pionniers parcouraient un territoire qui leur semblait sans fin, les nomades d’aujourd’hui montrent une perspective différente. ils ne sont plus face à une frontière à découvrir. Le territoire a une frontière définitive, on sait où il commence et où il s’arrête. Pire encore, les voyages des nomades, au lieu d’être dirigés vers de nouveaux horizons, consistent à aller et venir sur des terres déjà connues. Par le biais de ces personnages, Chloé Zhao raconte la quête existentielle menée par une Amérique en dérive.

L’assombrissement de la photo

Quand des cinéastes filment les grandes étendues américaines, leur premier réflexe est souvent de capturer la lumière, pour les sublimer.

De leur côté, Chloé Zhao et son directeur de la photographie Joshua James Richards ont fait un choix intrigant: sous-exposer légèrement la lumière naturelle. Un choix tout à fait en adéquation avec les thématiques du film, pour mettre en image une Amérique qui a perdu de sa vigueur, aux paysages ternis.

Les nouveaux mythes

Si Zhao raconte dans Nomadland le déclin des mythes fondateurs de l’Amérique, elle témoigne aussi du fait que d’autres mythes sont potentiellement en train de naître. En filmant ces nomades, elle dresse le portrait de personnes qui incarnent une nouvelle façon de vivre en s’émancipant de la société.

Zhao filme avec beaucoup d’empathie cette communauté de nomades qui ont tout perdu. Le film contient d’ailleurs des moments très chaleureux avec ces personnes, qui incarnent leurs propres rôles. Le personnage de Fern est interprété par Frances McDormand, qui est la seule actrice professionnelle du film. La comédienne est formidable, délivrant une performance très touchante. On aurait pu craindre que la caméra de Zhao reste trop sur elle, délaissant les autres fascinants personnages. Heureusement, ce n’est pas le cas. Tous crèvent l’écran, et apportent de l’émotion à l’histoire.

Après que certaines de ses compositions aient été utilisées dans The Father de Florian Zeller, Ludovico Einaudi amène à Nomadland la puissance de sa musique. Ses morceaux subliment le film, faisant ressortir toute la mélancolie des personnages au cœur de vastes paysages désertiques.

Nomadland est un film passionnant. Il nous plonge dans les tréfonds d’une Amérique trop peu explorée, avec des personnages très touchants. Une belle réussite pour Chloé Zhao.