Si le genre du superhéros continue de prospérer au cinéma, c’est en grande partie grâce à Marvel Studios. En 2008, le premier film Iron Man sort en salles. Le succès de ce blockbuster a marqué le début du Marvel Cinematic Universe (MCU), une série de films de superhéros très lucrative. Racheté par Disney à la fin de l’année 2009, Marvel Studios a bénéficié d’un bel apport de capitaux pour développer sa franchise. D’ailleurs, cette grande saga continue encore aujourd’hui avec la sortie des Éternels, de Chloé Zhao. Après plus d’une vingtaine de longs-métrages, Les Éternels s’annonçait comme un renouveau pour le studio. Mais est-ce vraiment le cas ?
En sortant Iron Man en 2008, Marvel Studios se lance à l’époque dans un projet ambitieux : adapter les personnages des bandes dessinées de Marvel Comics au cinéma. D’abord, le studio prend le temps d’introduire ses personnages, en leur accordant (pour la plupart) des films en solo. Les longs-métrages mettant en scène les différents superhéros se succèdent. Après Iron Man, Hulk, Thor et Captain America ont droit à leur film. Une fois que ces protagonistes ont rencontré le succès auprès du grand public, Marvel Studios passe à l’étape suivante : les réunir dans le même blockbuster.
Avengers : le succès qui confirme la tendance
En 2012, Avengers arrive en salles et remporte un succès inégalé jusqu’alors dans le genre du superhéros. Dans ce long-métrage, les superhéros se réunissent et apprennent à collaborer pour battre un ennemi qu’ils ne pourraient vaincre seuls. Avec des personnages attachants et un humour qui fait mouche, Avengers a connu un succès colossal. En effet, le film atteint le milliard et demi de recettes au box-office mondial. Devant cette réussite commerciale et critique, la tendance superhéroïque se confirme, et l’industrie hollywoodienne ne manquera pas de s’y adapter.
Dès lors, les superhéros de Marvel vont devenir omniprésents dans les salles de cinéma. La sortie des films s’enchaîne et la production s’intensifie. À partir de 2013, le studio augmente la cadence des sorties, avec deux longs-métrages par an. Cet univers partagé, où cohabitent de nombreuses intrigues et de multiples personnages, prospère. À partir de 2017, Marvel Studios se met à sortir trois films par an.
Un exploit de production
Sur le plan de la production, ce qu’a fait Marvel Studios tient de l’exploit. En plus d’un délai très court pour le nombre (toujours plus grand) de films à produire, le studio doit également superviser le développement des histoires de personnages toujours plus nombreux. L’entreprise a réussi à monter un modèle de production que lui envient tous ses concurrents. Les sorties cinéma sont fréquentes, et sont bien accueillies par la critique et le public.
Avec cette éclatante réussite, la création d’univers partagés devient un nouveau but à atteindre pour les autres studios. Le potentiel est énorme : créer une intrigue sur plusieurs films, pour inciter le grand public à revenir en salles à chaque nouvel opus… et bien sûr, reproduire le succès financier de Disney et de Marvel Studios. Mais, si cette technique a copieusement été imitée depuis, le succès de Marvel Studios n’a jamais été égalé. Warner Bros, Universal et Sony (et de nombreux autres) ont tenté de répliquer cette recette, mais s’y sont cassés les dents.
Les problèmes du système de production
Si le modèle de production de Marvel Studios est très prolifique, il montre au fil du temps ses limites sur le plan créatif. En effet, les succès répétés de l’entreprise lui permettent de se reposer sur ses acquis. De ce fait, les films utilisent et réutilisent les mêmes schémas d’écriture d’intrigues et de personnages. Ce constat s’applique aussi à la réalisation et à la photographie, qui, trop souvent, se contentent de répliquer ce qui a été fait auparavant.
Les films deviennent donc uniformisés, calqués sur le modèle des précédents. Et le fait que le studio aille chercher des réalisateurs venant du cinéma indépendant américain ne changera pas grand chose. Le cahier des charges du studio est tellement imposant qu’il ne semble laisser que peu d’espace créatif aux réalisateurs et scénaristes. Les films paraissent donc beaucoup plus quelconques et impersonnels. Certains opus donnent ainsi l’impression de ne plus chercher à se distinguer des autres productions, pour rentrer dans un moule pré-établi, qui a fait ses preuves.
Malgré tout, la plupart de ces longs-métrages demeurent divertissants. Mais avec l’omniprésence de Marvel Studios, et la répétition des mêmes schémas de production, les films apparaissent comme automatiques et prévisibles. Cependant, la recette marche, ce qui conforte sûrement le studio dans l’uniformisation de ses films. Alors pourquoi prendre le risque de faire quelque chose de différent ?
Fin de cycle
En 2019, Avengers Endgame arrive en salles, et récolte environ deux milliards de recettes au box-office mondial. Ce vingt-deuxième film marque la conclusion des arcs scénaristiques de plusieurs personnages principaux. Mais bien entendu, le Marvel Cinematic Universe ne va pas s’arrêter là. Car cette franchise est partie pour durer, avec de nombreux projets prévus pour ces prochaines années. Cependant, cette fin de cycle amène une importante question: Comment se renouveler? Comment amener du neuf dans une formule (trop) bien rôdée?
Le défi des Éternels
Dans sa campagne promotionnelle, Les Éternels s’annonçait comme le renouveau de Marvel Studios. Un long-métrage qui allait montrer ses personnages superhéroïques d’une manière différente. Pour ce projet, Marvel a choisi la réalisatrice Chloé Zhao. Récemment oscarisée pour son (très bon) film Nomadland, la cinéaste se retrouve aux commandes d’un long-métrage au budget pharaonique de 200 millions de dollars.
Sur le papier, l’idée est réjouissante, car Zhao a un style visuel particulier, ainsi qu’une manière bien à elle de filmer les personnages et les décors. Contrairement à de nombreuses autres productions Marvel, souvent filmées en studio, Les Éternels a bénéficié d’un tournage principalement en décors réels.
Je suis donc allé voir le film, espérant voir émerger de la collaboration entre Chloé Zhao et Marvel Studios le renouveau tant attendu.
Depuis l’aube de l’humanité, les Éternels, un groupe de héros venus des confins de l’univers, protègent la Terre. Lorsque les Déviants, des créatures monstrueuses que l’on croyait disparues depuis longtemps, réapparaissent mystérieusement, les Éternels sont à nouveau obligés de se réunir pour défendre l’humanité…
Je suis sorti de ma séance cinéma décontenancé. Car si ce blockbuster a de grandes ambitions, il donne l’impression d’être tiraillé entre deux intentions bien différentes: Celle de Zhao et celle du studio.
Les intentions de Chloé Zhao
Dans ses premières minutes, Les Éternels rassure. Le style de réalisation de Zhao est bien présent. Sa manière de filmer les personnages et les décors apporte un vent de fraîcheur au long-métrage. Les scènes d’action sont aussi très réussies, notamment lors d’un climax qui vaut le coup d’oeil.
Le film a également un propos très intéressant sur l’humanité et ses contradictions. L’histoire racontée est celle de figures divines, envoyées sur Terre à l’aube de l’humanité. Ces dieux vont influencer les humains, les inspirant et les emmenant vers un progrès technologique. Mais la nature imprévisible de l’humain retournera ce progrès contre lui. Le film questionne donc l’implication de figures mythologiques dans la culture humaine, et leur responsabilité dans un cycle de destruction et de création. Un propos très intéressant, porté par la réalisation de Zhao. Dans son ambition de suivre des personnages sur des milliers d’années, le blockbuster arrive à se démarquer d’autres productions de Marvel Studios.
Le cahier des charges de Marvel Studios
Malheureusement, les intentions de Zhao semblent se heurter au cahier des charges de Marvel Studios. D’abord, le film souffre d’un gros problème de ton. Des touches d’humour viennent parsemer un récit sérieux et dramatique. De ce fait, certaines situations tragiques se retrouvent amoindries à cause de cette volonté de légèreté.
De plus, le film répète un défaut récurrent de Marvel Studios: tout doit être expliqué. Le long-métrage est donc rempli de scènes d’exposition pour tout expliciter, afin de ne pas perdre le spectateur. Cette démarche agace, car la mise en scène de Zhao et le jeu des acteurs font déjà en grande partie ce travail.
De nombreux personnages
Les Éternels avait un autre gros défi à relever: introduire une dizaine de nouveau personnages dans son récit. Si ces protagonistes sont globalement bien caractérisés, ils sont malheureusement sous-développés. En devant jongler entre son histoire et le cahier des charges de Marvel Studios, Chloé Zhao a finalement peu de temps pour donner toute l’intensité dramatique nécessaire à son récit. De son côté, le casting fait bien son boulot, mais sans éclat particulier. Les nouveaux personnages sont attachants, mais ne sont malheureusement pas utilisés à leur plein potentiel.
Malgré une narration très décousue, qui use de beaucoup trop de flashacks, le film parvient à briller lors de certaines scènes. Il arrive parfois à trouver une puissance émotionnelle surprenante, insufflée par le récit de Zhao et le casting.
Du côté de la musique, le compositeur Ramin Djawadi (Game of Thrones, Westworld) a fait du bon boulot. Si les bandes originales des films Marvel sont en général peu mémorables, celle-ci tire son épingle du jeu. La musique amène même un supplément d’émotion bienvenu dans certaines scènes.
On aurait envie de saluer Les Éternels pour son ambition et sa volonté de propulser Marvel Studios vers de nouveaux horizons. Mais malheureusement, avoir de l’ambition ne garantit pas au résultat final d’être un bon film. Tiraillé entre les intentions de sa réalisatrice et le cahier des charges de son studio, le long-métrage convainc donc à moitié. Il ne s’agit pas d’un renouveau, mais d’une indication que Marvel Studios laisse peu d’espace aux ambitions de ses cinéastes.
Fiche d'informations du film
Titre : Les Éternels
Titre original : Eternals
Genres : Film de super-héros, Action, Fantastique, Science-fiction
Réalisatrice : Chloé Zhao
Scénaristes : Chloé Zhao, Patrick Burleigh, d’après une histoire de Matthew K. Firpo & Ryan Firpo et les personnages créés par Jack Kirby
Acteurs : Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek, Angelina Jolie, Barry Keoghan, Lauren Ridloff, Kit Harington
Photographie : Ben Davis
Musique : Ramin Djawadi
Durée : 2h37
Date de sortie : 3 novembre 2021