C’est avec un mélange de crainte et d’excitation que j’attendais la sortie de Matrix Resurrections. Sorti en décembre dernier dans les cinémas, ce quatrième opus de la saga Matrix avait un important défi à relever: succéder à une trilogie de films terminée dix-huit ans auparavant. Heureusement, cette suite se révèle être une grande réussite, aussi fascinante que ces prédécesseurs.
Le phénomène Matrix
Et si l’humanité vivait dans une simulation faite pour la contrôler? C’est sur cette idée que démarre le premier Matrix. On y suit Néo (Keanu Reeves), un humain inconsciemment piégé dans une simulation de la réalité. Lorsqu’il se rend compte de cette situation, il va mener une rébellion pour libérer les humains de l’emprise des machines…
Lors de sa sortie en 1999, Matrix marque profondément les esprits. En mélangeant habilement des scènes d’action aux effets révolutionnaires et des questionnements philosophiques, le film de science-fiction fait sensation auprès du grand public. En plus de rencontrer un grand succès au box-office (466 millions de dollars), le long-métrage révèle deux cinéastes: Lilly et Lana Wachowski.
Mais les ambitions des deux soeurs ne s’arrêtent pas au premier film. Le succès de ce dernier leur permet de se lancer dans la production de deux suites, dont le tournage sera effectué en simultané. Il s’agit de Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. Les deux longs-métrages sortent en 2003, à quelque mois d’intervalle.
Deux suites qui divisent
Si le premier film a rencontré un accueil plus que chaleureux, cela n’a pas été le cas des suites, qui ont divisé le public. La direction prise par les Wachowski a déplu. À tel point que, si le succès financier est au rendez-vous pour Reloaded (741 millions de dollars), Revolutions n’a récolté que 427 millions de dollars, un score en dessous de celui du premier film.
Personnellement, j’aime beaucoup ces deux suites. Si le premier film présentait une histoire très bien menée, celle-ci restait très manichéenne, avec des humains qui se rebellent contre une armée de machines. Les suites sont là pour apporter des nuances au récit de l’original, en donnant une nouvelle ampleur à l’univers. Avec ces nouveaux volets, les réalisatrices en profitent pour pousser plus loin leurs questionnements sur le libre-arbitre, l’ouverture d’esprit, et le rapport entre la machine et l’humain.
Du côté de la réalisation, les Wachowski repoussent les limites en livrant des scènes d’action mémorables. Les chorégraphies millimétrées et les courses poursuites spectaculaires crèvent l’écran. Le plus impressionnant, c’est que ces séquences de combat ne semblent pas avoir beaucoup vieilli, près de vingt ans plus tard. De plus, la musique de Don Davis, identifiable dès les premières notes, est restée dans les mémoires. Si ces suites apparaissent comme moins maîtrisées que l’original, avec certains problèmes de rythme et de scénario, elles fascinent par leur ambition et leur créativité.
Après la trilogie Matrix, les soeurs Wachowski partent sur d’autres projets (Speed Racer, Cloud Atlas). Cependant, avec leurs films suivants, elles n’ont plus jamais retrouvé le même succès que sur la trilogie Matrix.
Hollywood et la logique des suites
En 2019, La mise en production d’un quatrième volet est confirmée. Celui-ci s’appellera Matrix Resurrections. Mais cette fois-ci, seule Lana Wachowski est de retour à la réalisation. Et dès lors, des questions se sont posées: Pourquoi faire cette nouvelle suite ? Y a-t-il un vrai projet artistique? Ou est-ce juste une tentative pour le studio Warner Bros de relancer une ancienne franchise à succès afin de capitaliser dessus?
Car ce retour de Matrix arrive au moment où de nombreuses sagas cinématographiques souffrent d’une tendance fréquemment employée par les studios. Celle-ci consiste à récupérer des anciennes franchises pour en faire de nouveaux films qui vont référencer les succès passés.
De cette logique de production ont découlé de nombreux longs-métrages très dispensables (Terminator: Dark Fate, Star Wars: Le Réveil de la Force) dont l’objectif principal était de jouer sur la nostalgie du spectateur. Si cette technique d’exploitation a fait ses preuves, avec des succès financiers à la clé, elle met en lumière le manque de créativité de la démarche. En effet, pourquoi s’embêter à créer des films originaux quand on peut capitaliser sur des licences qui ont déjà marché?
Dès sa sortie, ce quatrième opus divise (à nouveau) fortement le public, avec des avis très mitigés. Je suis tout de même allé voir le film avec curiosité, et je suis ressorti de ma séance très satisfait.
Attention! Il est possible que cette le texte ci-dessous contienne quelques légers spoilers sur l’intrigue de Matrix Resurrections.
Une mise en abîme de l’industrie du cinéma
Comme le premier Matrix en 1999, Matrix Resurrections est un film qui parle de son époque. On y retrouve un Néo plus âgé. Il se trouve cette fois dans une réalité où il a créé une trilogie de jeux vidéos appelée Matrix… Révolutionnaire, cette trilogie a marqué les esprits, devenant une référence incontournable et une planche à billets inépuisable. Le personnage, épuisé, constate chaque jour à quel point il a perdu le contrôle de sa création, utilisée à des fins mercantiles par l’entreprise où il travaille. Le sens de l’oeuvre a été perdue, remplacée par un enchevêtrement de références vides de sens.
À travers le personnage de Néo, Lana Wachowski fait une mise en abîme des problématiques entourant cette nouvelle suite. Dans une industrie qui s’est approprié le succès de la trilogie précédente pour en faire un objet commercial utilisé à toutes les sauces, comment donner un sens à ce nouveau film? Et comment ne pas dénaturer le propos de ses prédécesseurs? Comment retrouver l’essence de ce qui faisait la trilogie? Des questions épineuses, que Lana Wachowski traite en les intégrant dans son script avec une grande intelligence. Ainsi, avec beaucoup d’auto-dérision, la cinéaste contemple avec un recul bienvenu l’héritage de la trilogie Matrix. Elle en profite également pour tourner en dérision les politiques de studios, qui veulent prolonger les histoires de leurs oeuvres à succès en suites inutiles.
L’émotion au rendez-vous
Cependant, le film paraitrait un peu vain s’il ne consistait qu’à dénoncer l’industrie du cinéma moderne, tout en participant à ce phénomène en réalisant ce quatrième opus. Mais Matrix Resurrections dépasse cet écueil en se concentrant sur ses personnages principaux et en cherchant à les extirper de cette simulation de la réalité, où ils ne sont plus qu’une représentation d’une gloire passée.
Avec une écriture solide et un casting très impliqué, les protagonistes semblent vivre une vraie résurrection, s’extirpant de leur statut de figures cultes pour redevenir de simples êtres humains. Au fil du film, l’émotion monte, avant d’exploser dans un climax très réussi. Du côté de la réalisation, les idées visuelles parsèment le récit, sublimées par une belle photographie.
Des scènes d’action décevantes
Malgré ce bilan globalement positif, le film souffre tout de même de quelques problèmes. Les scènes d’action, bien que globalement de bonne facture, ne sont malheureusement pas au niveau des films précédents. Si la trilogie a révolutionné le cinéma d’action, cette suite semble vouloir éviter ces excès, pour se concentrer sur son histoire. L’action semble donc moins aboutie, moins jouissive, comme si Lana Wachowski ne semblait plus intéressée à repousser les limites des séquences de combat. Cela n’empêche pas ce Matrix 4 d’avoir quelques fulgurances visuelles, mais les spectateurs qui viendront en salles en s’attendant à une nouvelle révolution technique seront sûrement déçus.
Un des autres défauts du long-métrage est de trop compter sur son exposition pour transmettre les informations au spectateur, au lieu de les faire passer par l’image. Cela donne lieu à de (trop) longs tunnels de dialogues, qui alourdissent parfois la narration.
Du côté de la musique, Don Davis est remplacé par Johnny Klimek et Tom Tykwer. Les compositeurs livrent une partition efficace, mais moins mémorable que celles des opus précédents.
Matrix Resurrections est une suite fascinante. Si elle n’est pas exempte de défauts, elle impressionne par un scénario intelligent, qui montre qu’il est possible de faire des suites sans utiliser la nostalgie comme unique moteur narratif. Sincère dans sa démarche, le blockbuster surprend et émeut. Une excellente surprise, qu’il est recommandé de voir sur grand écran.
Fiche technique du film
Titre : Matrix Resurrections
Genres : Film de science-fiction, Film d’action
Réalisatrice : Lana Wachowski
Scénaristes : Lana Wachowski, Aleksandar Hemon, David Mitchell
Acteurs : Keanu Reeves, Carrie-Anne Moss, Yahya Abdul-Mateen II, Jessica Henwick, Neil-Patrick Harris, Jonathan Groff
Photographie : Daniele Massaccesi, John Toll
Monteur : Joseph Jett Sally
Musique : Johnny Klimek, Tom Tykwer
Durée : 2h28
Date de sortie : 22 décembre 2022