Une société réduite à un train roulant à toute vitesse sur une planète gelée… C’est sur ce concept de base que reposent le film et la série Snowpiercer. Après avoir beaucoup aimé le long-métrage de Bong Joon Ho (2013), c’est avec impatience que j’attendais l’arrivée de la série télévisée, qui est sortie cette année. Maintenant que tous les épisodes de la saison 1 ont été diffusés, c’est l’occasion d’aborder à la fois le film et la récente série Snowpiercer.
Snowpiercer de Bong Joon Ho (2013)
Le film nous plonge dans un monde post-apocalyptique, où la terre est devenue invivable. Une nouvelle ère glaciaire, créée involontairement par l’homme dans une tentative désespérée de lutter contre le réchauffement climatique, a éradiqué toute possibilité de vie. Les derniers survivants ont trouvé refuge à bord du Snowpiercer, un gigantesque train. Celui-ci roule sans s’arrêter, protégeant ses passagers des glaciales températures extérieures. À bord, la lutte des classes continue.
Les riches vivent à l’avant du train, privilégiés, alors que les pauvres sont coincés à l’arrière. Ces derniers sont maltraités et vivent dans des conditions de pauvreté extrêmes. La révolte se prépare, menée par Curtis (Chris Evans). Ce dernier a un objectif: atteindre la locomotive, pour prendre le contrôle du train.
Une société sous forme de train
La particularité de Snowpiercer est le fait que les derniers survivants d’un monde gelé aient reconstitué une micro-société sous la forme d’un train. Ce concept permet de faire une critique très imagée du fonctionnement de notre société actuelle.
Un projet ambitieux
Le film est adapté de la bande dessinée française Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, sortie en 1982. Si de nombreuses idées d’adaptation sur le grand écran ont été évoquées, rien de concret ne s’en est dégagé. En effet, l’ambition d’un tel projet et le budget exigé pour son exécution auront longtemps mis de côté une version cinéma. Il faut donc attendre 2013 pour que le film Snowpiercer sorte en salles. Le long-métrage est réalisé par Bong Joon Ho (Parasite), un cinéaste coréen.
Aidé par le dramaturge Kelly Masterson, le réalisateur a écrit le scénario en adaptant de manière très libre la bande dessinée, pour se la réaproprier et y insufler ses thématiques. Si Bong Joon Ho avait jusque-là mis en scène ses films en Corée, Snowpiercer est son premier long-métrage produit à l’international, notamment pour bénéficier d’un budget de 40 millions de dollars.
De wagon en wagon
Dès le début, Snowpiercer focalise son intrigue sur la partie du train la plus basse dans la hiérarchie des classes: l’arrière. La colère va provoquer une révolution, dans le but de changer le système en place. Mais le film pose aussi une question importante: ce système peut-il être changé?
La révolution menée par l’arrière du train va être l’enjeu principal du long-métrage, alors que les protagonistes vont vers l’avant. Dès lors, la structure du récit rappelle celle d’un jeu vidéo. De wagon en wagon, les personnages devront affronter un grand nombre d’épreuves, avec un seul but: continuer à avancer. Atteindre l’avant.
Plus les personnages avancent, plus le train se révèle à eux sous de nouvelles perspectives. Le fait de découvrir les informations par le biais de ces protagonistes implique le spectateur dans l’expérience, renforçant la puissance du récit.
Une découverte constante
Cependant, cette découverte du train prend vite un aspect très linéaire, qui pourrait à la longue lasser le spectateur. Pour remédier à ce problème, Bong Joon Ho met les protagonistes au coeur de scènes d’action impressionnantes et violentes, où ils doivent lutter pour leur survie. Il se sert également des différents wagons pour nous faire découvrir petit à petit des aspects insoupçonnés du train. De cette façon, chaque wagon présente une facette différente de cette micro-société, avec des ambiances très différentes. Il y a notamment un wagon jardinier et un wagon aquarium, présents pour subvenir aux besoins de nourriture du train. Il y a également le wagon de l’école, où l’on voit que les enfants sont éduqués par de la propagande. La variété des décors et le changement d’ambiance fréquent permet à la mise en scène du réalisateur de se renouveler, maintenant le spectateur dans cet univers fascinant.
Les ambiances des wagons, bien que très différentes, arrivent à bien s’accorder ensemble, notamment grâce à la photographie de Hong Kyung-pyo et l’excellente bande originale de Marco Beltrami. Visuellement, le film est magnifique, avec certains plans très marquants.
Des thématiques riches
Le parcours de ces personnages est donc ponctué de rebondissements, et permet d’explorer bon nombre de thématiques des plus intéressantes. Le fait de présenter une société à échelle réduite sous la forme d’un train permet d’aborder d’une autre façon des thèmes comme les inégalités sociales et la lutte des classes.
Mais le film montre surtout la déshumanisation d’un système, où chaque classe a une fonction pré-définie et n’est qu’un rouage servant au bon fonctionnement de la structure entière. Snowpiercer interroge sur la possibilité de sortir de ce système-là. Une autre manière de fonctionner serait-elle vraiment meilleure, ou détruirait-elle le train? Les questionnements sont nombreux et font réfléchir bien après le visionnage du long-métrage.
Le film est soutenu par un casting impeccable, avec un Chris Evans en grande forme. Les personnages sont attachants, ce qui fait qu’on suit avec intérêt le parcours de Curtis et de son groupe. Le long-métrage n’est bien sûr pas exempt de défauts, notamment avec certaines facilités scénaristiques utilisées à certains moments pour faire avancer le récit. Mais cela ne gâche pas pour autant le plaisir de visionnage.
Snowpiercer est un film que j’aime énormément. Ses nombreuses qualités en font une oeuvre des plus singulières et intrigantes. Avec une réalisation truffée d’idées et un scénario solide, le long-métrage impressionne, tout en amenant des réflexions profondes et mémorables.
Fiche d'informations du film
Titre : Snowpiercer, Le Transperceneige
Titre original : Snowpiercer
Genres: Science-fiction, Drame
Réalisateur: Bong Joon-Ho
Scénaristes : Bong Joon-ho et Kelly Masterson, d’après la bande-dessinée Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette.
Acteurs : Chris Evans, Jamie Bell, Tilda Swinton
Photographie: Hong Kyung-pyo
Musique: Marco Beltrami
Durée : 2h06
Date de sortie : 30 octobre 2013
Pourquoi une série?
Au départ, l’annonce d’une série Snowpiercer avait de quoi laisser dubitatif. Que raconter de plus que le film, qui arrive très bien à boucler son récit en deux heures?
Pourtant, je pense que cet univers pourrait encore avoir plein de choses intéressantes à raconter. Le long-métrage de Bong Joon Ho, dans sa volonté de se concentrer sur son intrigue principale, passait très vite sur beaucoup d’éléments de son univers. Là où le film était un parcours de personnages, la série pourrait être une exploration approfondie de cette micro-société. Comment fonctionne le train? Comment cohabitent les différentes classes? Les possibilités d’histoires sont nombreuses.
Cela donnerait aussi l’occasion d’aborder plus en profondeur certaines des thématiques du film afin de leur donner une autre complexité. Entre de bonnes mains, la série pourrait peut-être tirer son épingle du jeu et utiliser de façon pertinente cet univers.
L’adaptation à la télévision
Après que le film ait rencontré un succès d’estime lors de sa sortie, il n’était pas question de s’arrêter là. Les producteurs des chaînes de télévision ont senti le potentiel et ont acheté les droits d’adaptation en 2015. Il a vite été annoncé que la série serait une adaptation du long-métrage de 2013 et de la bande dessinée. Après des années de production mouvementée, avec des changements de showrunners et de scénaristes, la série a enfin pu être diffusée. Et maintenant que la diffusion des dix épisodes de la première saison s’est achevée, le résultat déçoit.
Andre Layton, passager situé à l’arrière du train, prépare un plan pour lancer une révolution. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu. Il va être amené à l’avant du train pour mener une enquête. Quelqu’un a tué un homme de première classe. Il est vital de trouver le coupable, sinon les tensions déjà présentes entre les classes pourraient augmenter…
Il est important de noter que le synopsis de cette première saison ressemble beaucoup à celle du film. Une révolution des classes inférieures pour prendre le contrôle du train. Mais elle comporte une importante différence: la résolution d’un meurtre en première classe.
Une enquête inintéressante
Les premiers épisodes mettent donc l’accent sur l’investigation de Layton, qui va interroger des personnes dans différents wagons. Pendant un moment, la série donne le sentiment désagréable de détourner une histoire concernant la lutte des classes pour la transformer en enquête policière, dont les codes sont très accessibles pour la télévision américaine. Malgré tout, cette façon de démarrer l’intrigue peut avoir de l’intérêt. Cela peut permettre de montrer de façon ludique les différentes classes ainsi que les interactions qu’elles entretiennent entre elles.
Mais la série se sert très peu de cette opportunité. L’enquête se révèle peu stimulante, se contentant de mettre en avant les différentes classes, sans arriver à rendre intéressantes les relations politiques à bord du train.
Heureusement, après quelques épisodes, l’enquête s’arrête pour laisser place à la révolution.
Une hésitation constante
Là où la série aurait pu exploiter de manière passionnante les différentes parties du train et leur rôle dans cette société, le résultat est d’un ennui surprenant. L’intrigue, très souvent hésitante sur la direction à prendre, multiplie les allers et retours dans les wagons sans parvenir à créer un conflit prenant. Les personnages, baladés dans tous les sens, se révèlent pour la plupart peu intéressants. Les acteurs proposent un jeu fade, ce qui n’aide pas à s’impliquer émotionnellement dans la série.
Une réalisation fade
De manière générale, la comparaison avec le film fait beaucoup de mal à la série, notamment au niveau de la réalisation. Cette dernière est à l’image du reste de la production: fade. La série est filmée sans personnalité. Les idées de réalisation sont peu nombreuses. Par ailleurs, la mise en scène peine à faire croire que l’action se passe dans un train. Les wagons, de taille relativement similaire lorsqu’ils sont filmés de l’extérieur, n’ont pas du tout les mêmes dimensions à l’intérieur. Les décors semblent beaucoup trop grands pour coller avec l’exiguïté du train. Du côté de la musique, celle-ci accompagne correctement la série, mais sans moment mémorable.
Peu de nouveautés
Le peu de nouveautés apportées en 10 épisodes a de quoi surprendre. On pourrait penser que le but d’une série aurait été de construire sur ce qui avait déjà été établi, de façon à ne pas se répéter et de créer une nouvelle vision de cette histoire. Mais très souvent, les scènes du film sont reprises, sans leur apporter un traitement neuf. Dommage, car ces dix heures de contenu auraient pu être autrement plus intéressantes.
Le cliffhanger de fin de saison
Après la fin de la révolution, la série lance dans son dernier épisode une nouvelle intrigue qui réussit à ramener de l’intérêt. Mais c’est le moment que la saison choisit pour se terminer sur un cliffhanger, qui amène une promesse intéressante pour une suite. La série nous laisse donc sur le bord de la voie, alors qu’on s’apprêtait enfin à monter dans le train…
La série Snowpiercer est donc une grosse déception. Cette saison 1 est une opportunité manquée d’explorer cette société très particulière en profondeur. Hésitante dans ses choix scénaristiques, la série se perd dans des relations de personnages peu intéressantes. En ayant choisi une histoire proche de celle du film, elle souffre de la comparaison, autant en ce qui concerne la réalisation que le scénario. Malgré une fin qui laisse entrevoir le potentiel d’une suite, je ne suis pas sûr que je la regarderai, après une première saison aussi fade.
Fiche d'informations de la série
Titre : Snowpiercer
Genre: Science-fiction, Thriller, Drame
Créateur: Josh Friedman
Acteurs : Daveed Diggs, Jennifer Connelly
Photographie: John Grillo
Musique: Bear McCreary
Durée moyenne par épisode : 50 minutes
Année de sortie : 2020